# I. Introduction bdelkader Djemai est un écrivain d'origine algérienne. Son premier roman Saison de pierres publiées en 1986, concerne le séisme qui a frappé une ville. Comment raconter cette catastrophe? Quand tout est sens dessus -dessous, le minéral, les humains, les animaux, les arbres?Comment rendre compte de cette dislocation? Saison de pierres à tout l'air d'un roman heurté, disloqué et hybride. Le roman met en exergue la vie, les souvenirs, les délires, les fantasmes de Sandjas. Le récit se clôt sur Sandjas meurtrier ou meurtri, considéré parmi les fous. Son hérésie l'enferme dans la camisole des fous et dans la camisole des mots. Le roman se caractérise par la succession et l'entrecroisement de séquences narratives apparemment sans lien entre elles mais en réalité solidement articulées car toutes les histoires tournent autour de Sandjas, le personnage principal. Des fragments de récit se répètent, provoquant ainsi ouvertement le roman traditionnel. Le lecteur au premier abord croit lire le même texte mais après concentration, se révèlent maintes variations entre deux passages. L'étude de la structure fragmentaire du roman et l'analyse de l'enchaînement thématique entre les séquences nous permet de dire que même invisible aux yeux du lecteur il existe toujours un lien entre les séquences. Ainsi, divers modes et moyens de transitions favorisent les bifurcations et les articulations entre les séquences: récurrence d'une même image, association d'idée, répétitions de termes analogiques? Abdelkader Djemai morcelle, répète, retravaille le fragment textuel afin que le lecteur se voie proposer, d'après coup une clé (ou plusieurs clés?) pour l'interprétation des pages narratives précédemment rencontrées. Certes, Abdelkader Djemai fait du procédé de la répétition un de ses principes de composition mais loin d'introduire dans son roman des éléments préexistants hétérogènes, créateurs de contrastes inattendus, il cherche plutôt à créer une harmonie thématique et textuelle en faisant appel à la collaboration du lecteur pour rassembler les éléments en apparence éparpillés. En utilisant le procédé de la répétition, l'auteur veut instaurer un nouveau réflexe chez le lecteur: tester la mémoire du lecteur en faisant appel à sa perspicacité et à son intelligence. Dès lors, notre questionnement est le suivant: Comment lire ce roman hybride? Quel est le lien entre les différents fragments textuels? Quel est le moyen qui permet la relance entre eux? Pourquoi les mêmes fragments se répètent-ils dans le roman? Quel est le rôle de la répétition dans ce roman? En tant que procédé de création ou d'écriture, de quelle manière la répétition fonctionne-telle dans Saison de pierres? Quelle est l'intentionnalité de la répétition dans Saison de pierres? A La présente étude se propose donc d'analyser, en recourant à la narratologie et à la stylistique, les techniques narratives mises en oeuvre par l'auteur pour montrer comment la répétition est utilisée comme un procédé de composition qui met en cause les représentations traditionnelles de la narration. Ainsi, la répétition est un procédé qui touche à la fois au mot, à la phrase, au fragment et à la structure d'un texte. # II. Mémoire et Concentration Le récit de la « photographie » se répète à volonté dans le roman mais à chaque fois avec un nouveau détail ou une variation intéressante à analyser. Le premier fragment apparaît à la page9: « [?] Le temps dessous, l'horloge figée, la photo pleure, alors, de tous ses graines dans son cadre aux mâchoires cassées. Cette photo, ton unique butin, que tu gardes souvent, que tu ne veux montrer à personne, sauf aux insectes. Rappelle-toi le petit garçon près d'une fillette, c'est toi. Ce fut avant que l'armoire ne soit fracturée, l'horloge éborgnée, que ta rue ne mange du verre, la ville, la gorge de travers et le couteau dans le dos [?] » (Saison de pierres: 9).Le premier fragment insiste sur l'importance de la photo « un butin ». Le deuxième fragment à une dizaine de pages plus loin, nous informe sur le contenu de la photo: une fillette et un garçon côte à côte où le narrateur feint d'ignorer la cause de l'accident de la fillette. La photo est en possession de Sandjas: « [?] La fillette qui sourit, le regard clair, le garçon, une petite moue sur les lèvres, un rien agressif. La chaussure gauche de la fille est délacée, une chaussure à bout carré, remontant plus haut que la cheville. Une cicatrice barre son genou (un accident?). La photo jaunâtre est écornée, zébrée de filaments blancs. La trace au creux du genou, faite par une écharde, un buisson, une chute? La fillette savait -elle l'emplacement du figuier, la présence de l'araignée, des nids de fourmis le long des murs crépis de la maison? Peut-être n'est -elle qu'une ombre, une tache sur la photo?). [?] » (Saison de pierres: 28) Le troisième fragment met en exergue le lien de parenté entre la fillette et le garçon (Sandjas). L'accident sur le genou de la fillette ronge toujours le narrateur: « La fillette est étrangement immobile sur le papier usé, aux coins rognés. Son point d'ancrage reste le sol degrés, la surface de la photo qui parait la protégée, l'encadrait dans un précaire équilibre. [?] L'homme près du garçon fuit, par la médiocrité de la prise, à une trop grande tristesse qui le mine, le garçon à une moue trop dédaigneuse pour être sincère. Encore faut-il repérer après une lecture minutieuse, leurs attaches, rien ne le prouve. [ Ainsi, le détail, par l'importance qui lui est accordée, fait perdre de vue l'ensemble, comme le révèle la description de cette photographie: « Une photo prise sur la place, le père un peu n retrait, l'oeil vide, la main molle. Un garçon ; une fillette avec une robe bleue à losanges, un ruban sur les cheveux, des socquettes jusqu'aux genoux [?] On sent une légère tension sans l'air [?] La main de l'homme (pourquoi molle ?) [?] la fillette qui sourit, le regard clair [?] (une cicatrice barre son genou [un accident?). » (Saison de pierres: 28). Cet extrait a été retenu parce qu'il représente l'écriture typique de ce roman qui laisse transparaître l'hésitation du narrateur, du texte, de l'écriture, à la lecture de cette photographie prise sur place: (laquelle? on ne le sait pas !), dans quelle circonstance ? Le texte ne répondra pas; son but n'est pas d'apporter des informations, mais de s'éloigner de cet objet décrit: "La petite fille" pour s'arrêter à des détails insolites: la main du père, sa position, son aspect: (molle, pourquoi molle?). La cicatrice sur le genou (il cherche des explications à cette ancienne blessure) 2 Ces procédés, inscrits dans le roman du corpus d'étude, tels que: l'accumulation de détails-le grossissement du détail-la répétition-la précision-les figures de rhétoriques inhabituelles déplacées, inversées, désarticulées, décalées. Autant d'éléments qui obscurcissent la forme, ralentissent la connaissance, déshabillent le texte, donnant à l'objet un statut de figuration et non de la connaissance ou de reconnaissance . L'expression d'agressivité, la position des socquettes, pour délaisser complètement la description, et suivre le récit de "cette petite fille à la robe bleue à losanges" (le détail du motif de la robe estil prépondérant sur la photo?) qui? se demande le narrateur: connaissait-elle les lieux? Les coins et recoins? Cette surabondance de détails anodins, futiles, empêche la description de "montrer" précisément, dénature sa fonction et torpille la narration. noyés, les oncles dispersés, les tantes éparpillées)». [?] (Saison de pierres : 88).Comparons avec le deuxième fragment: « [?]Elle [grand-mère] emporta aussi dans le ballot hâtivement fait de sa vie (à cause de la mort de l'époux ou parce qu'il lui préférait les chevaux, l'anisette les gitanes) une grande jarre de miel, des galettes de semoule frite pour qu'il n'ait pas faim dans le ciel et sceller leur réconciliation (à leurs décès, les chiens hurlants, les chevaux nerveux, les oncles réunis, les tantes larmoyantes) [?] » (Saison de pierres: 90). Il est important de tenir compte des variations entres les différentes versions puisque Abdelkader Djemaï pousse le lecteur à se concentrer. Les trois versions sont mises entre parenthèses par l'auteur. Analysons les variations : entre la première «à sa mort, les chevaux vendus, les chiens noyés, les oncles dispersés, les tantes éparpillées », la seconde « à leurs décès, les chiens hurlants, les chevaux nerveux, les oncles réunis, les tantes larmoyantes » et la troisième « les chiens essayèrent de le déterrer comme un os, les chevaux, les oncles fiers, les tantes jubilantes ». Les variations concernent : « les chiens », ils sont « noyés »dans la première version, dans la seconde ,ils « hurlants » ;puis « les oncles », dans la première version, ils sont « dispersés » et dans la seconde version, ils sont « réunis » ensuite les tantes, une fois, elles sont« éparpillées » et les autres fois ,elles sont« larmoyantes »et « jubilantes ». Les oppositions entre ces éléments créent une impression de déséquilibre qui se trouve au centre du roman. Abdelkader Djemai veut peut-être aussi signaler l'importance de la répétition et mettre en évidence ce « désir de variation, mais aussi désir que rien ne varie » 4 «[?] Sandjas vit un scorpion sortir de l'auvent d'un caillou. Il; se déplaçait sans peur d'être coupé en deux. [?] Sa rancune se sert de poisson. Sa mort . Remarquons aussi que tout le roman fonctionne de cette manière: le retour du même fragment avec de maintes variations. L'histoire du scorpion offre un bon exemple: Le récit du scorpion est cité plusieurs fois dans le roman par bribes jamais de son intégralité: le premier fragment apparaît dès début du roman. Il nous dévoile la mort du scorpion tué par la tribu car c'est un traître: « [?] nous déplacions constamment les fourrés, le buisson, et découvrîmes, scorpions sous la pierre, un traître parmi nous. On l'exécuta en traçant sur sa peau de fictives positions. On lui trancha également les parties intimes pour le lui planter dans la bouche. Les enfants crevèrent ses yeux avec des épines de cactus, les femmes lacérèrent sa gorge d'aiguilles rouillées. [?] » (Saison de pierres: 56). Et à la page 81, le narrateur nous avise des méthodes abominables du scorpion: Year 2019 Volume XIX Issue VII Version I ( G ) aussi, il ne démobilise pas, passe sa vie à attraper les faibles proies, fort de sa démarches, en plein digestion, il calme son aisance. Scorpion, parvenu inquiet de sa réincarnation, matamore descendu dans l'arène des ruines. Toréador pompeux, il choisira par ruse et intérêt de pratiquer ce qu'il condamne en public. [?] » (Saison de pierres: 81).Les méthodes du Scorpion rappellent à Sandjas un traître de l'envergure du Sachem Tatoué « [?] il fit rappelle à Sandjas le Sachem Tatoué. La comparaison desservait l'arachnide au regard de ses avatars, de sa pitance. Le ridicule, en ce cas tuerait l'affairiste et le militant escroc. Dans un duel éventuel entre le scorpion et le Sachem Tatoué avec pour témoin Sandjas, encourageant les adversaires à s'entre égorger, à utiliser les coups bas dont ils détenaient le secret. Mais ce dernier s'était concerté pour un simulacre de combat feignant d'être exténués au milieu d'un ring tendu par les rus de l'oued au tapis caillouteux. » (Saison de pierres: 81-82). La répétition des énoncés peuvent aussi correspondre à la répétition effective d'un événement, le récit répétitif traduit une perception cyclique de l'Histoire (les politiciens véreux des années 80 en Algérie). Ces reprises peuvent encore s'expliquer par le caractère crucial de l'évènement, indéfiniment relaté 5 Les énoncés se répètent à l'envi, provoquant ainsi ouvertement le récit traditionnel. Dans Saison de . La répétition permet à Abdelkader Djemai de dire et redire en plusieurs exemplaires la même idée, le même événement, la même expérience offrant une multitude de perspectives et invoquant un maximum de concentration. Un même fragment textuel est cité deux fois, une fois à la page 8 du chapitre 1 et l'autre fois à la page 90 du chapitre 9: Le premier: « [?] Grand-mère tranchée en deux, grand-mère qui n'aimait pas les chaussures retournés, « mauvais présage », disait-elle [?] ». (Saison de pierres: 8) Le deuxième: « [?] grand-mère veillait à ce que les chaussures des invités ne soient face contre terre: « Mauvais présage », criait-elle [?] » (Saison de pierres: 90). Le lecteur au premier abord croit lire le même texte mais après concentration, se révèlent maintes variations entre les deux passages. La grand-mère de Sandjas tient toujours le même discours, elle déteste voir les chaussures retournées: mauvais signe selon elle. Ces variations et ces modifications dans la même version peuvent mettre en évidence la richesse de la langue d'un côté (dire la même chose mais en employant des mots différents) et de l'autre côté, l'auteur voudrait insister sur le comportement superstitieux de la vieille. pierres, le lecteur assiste à une course-poursuite incessante de Sandjas après Assia, sans que celle-ci aboutisse: « Chaque fois, il s'était promis de l'aborder » (Saison de pierres: 17). «Assia toujours absente». (Saison de pierres: 21). « La voix d'Assia qui danse sur le parquet ». (Saison de pierres: 29). « Elle marche vers eux ». (Saison de pierres: 38). « Assia ne gouverne pas ses nuits ». (Saison de pierres: 45). « Où est Assia dont la simple séparation inaugure un immense vide? ».(Saison de pierres: 47).Cette présence/absence emplit tout le texte, alors qu'Assia n'est jamais "intervenante" au niveau du récit 6 Ainsi, la répétition ne prend tout son sens que grâce à l'oeil de celui qui la perçoit: « La répétition ne change rien dans l'objet qui se répète, mais elle change quelque chose dans l'esprit qui la contemple» . 7 III. Le Procédé de la Répétition . La répétition ouvre l'esprit du lecteur à de nouvelles possibilités, de nouvelles visions, à l'innovation. La répétition est un phénomène qui possède une longue histoire, mais une histoire qui semble appartenir à un passé révolu. La répétition occupe en effet une place importante dans la tradition rhétorique. Elle est même pour la rhétorique un principe fondateur, sans doute oublié avec la disparition de cette science: « La répétition est donc la figure qui conditionne tout discours » (Molinié: 1992:292). Avec la disparition de la rhétorique en tant que discipline semble être tombée en disgrâce. Pourtant, si la répétition a disparu des dictionnaires spécialisés, elle n'a pas pour autant disparu du langage 8 Si la répétition a, pour ce qui est de la prose, largement été étudiée du point de vue du contenu (études par motif ou par thèmes), elle est restée, en revanche, longtemps associée au manque, à la nonpertinence dès qu'il s'agissait de la répétition du signifiant. La tradition rhétorique l'a longtemps assimilé à un procédé négatif incompatible avec les impératifs de la narration, alors que les autres domaines de l'art que sont la musique et la poésie ont toujours salué en elle un principe de composition fondamental . 9 La répétition est souvent le principe du Nouveau Roman. Le procédé de la série, reprise constante de thèmes avec de légères variations, comme des mouvements musicaux, constitue . l'organisation du récit .L'oeuvre perd sa linéarité pour ne plus constituer qu'un ensemble. Les écrivains comme Duras, Beckett, Simon, ont utilisé la répétition comme procédé subversif. Il faut rappeler que le procédé de la répétition n'est pas limité aux récits dits modernes, même si c'est avec eux qu'elle a pris toute son ampleur. L'étude de ces quelques exemples, dans Saison de pierres, ont montré en quoi et pourquoi la répétition, « une des plus puissantes de toutes les figures » (Molinié 1994:102), constitue pour le récit « une porte d'entrée privilégiée dans la structure texte 10 Il importe de rappeler en effet que la répétition à l'identique est impossible, l'acte et la situation d'énonciation n'étant jamais reduplicables: le seul fait de répéter implique un changement de perspective. La répétition est alors la reformulation selon la définition d'Anne -Marie Clinquart « qui ne tient pas compte de la dichotomie reprise /reformulation et permet d'utiliser indifféremment les deux termes pour designer ces activités verbales » ». 11 Selon Genette la répétition est « l'autre du même » . 12 , car toute répétition est déjà variation. Parler de répétition, c'est donc construire, pour les besoins de l'analyse, du Même, là où ce Même est déjà Autre. Qu'est-ce qui sépare le Même du presque Même? Les ressemblances et les divergences, aussi minimes soient-elles (qu'ils s'agissent de reprise lexicale, syntaxique,), créent des effets de parallélisme et de symétrie, de contraste et d'opposition) 13 Saison de pierres peut être lu comme une « OEuvre de mémoire construite sur le modèle de la mémoire », comme le formule si bien Chantal Lapeyre-Desmaison . 14 En effet, les romans des années 80 sont particulièrement riches d'invention. La notion de postmodernité ne permet pas de délimiter le temps du . Comme elle le précise aussi, le fragment peut prendre de nombreuses formes, quelques mots, un petit conte un trait d'esprit, tous éléments constitutifs d'un tout .Aux différentes formes de fragments qu'elle nomme, nous ajouterions les listes, ces énumérations hétéroclites récurrentes dans l'ensemble de l'oeuvre d'Abdelkader Djemai qui constituent même l'ensemble du roman. 10 GUARDIA, Jean de, Les impertinences de la répétition. Portée et limite d'un outil d'analyse textuelle, Poétique n132, Novembre, 2002, p490. 11 CLINQUART, Anne Marie, Fonctions rhétoriques de la reformulation ou quand la reformulation est le témoin de la maitrise discursive et communicative du locuteur, Cahiers du français contemporain3, CREDIF, Dédier -Erudition, 1996, p153. 12 GENETTE, Gérard, L'autre du même, Figures IV, Seuil, Coll. Poétique, 1999 p101. 13 PARK-DARLINGTON, Emmanuelle, Récit, répétition, variation. Cahiers d'études germaniques, Université de Province-Aix-Marseille, 2005, p55-56.HAL ID : halshs-00377283. 14 Nouveau Roman, mais éclaire quelques-uns de ses aspects. L'impact du mouvement sur la littérature actuelle se disperse en échos partiels, dans la part donnée au jeu, dans le travail narratologique persistant, dans un retour au référent qui n'efface par l'élaboration scripturale, dans des compositions cryptées très denses, dans une présence poétique au contact des autres arts. Ainsi serait valorisée l'« aventure romanesque »par excellence: celle de l'écrivain aux prises avec les éléments de son oeuvre 15 # IV. Conclusion En conclusion, on peut dire qu'Abdelkader Djemaï se plait à tromper la mémoire textuelle de son lecteur. En lui faisant croire qu'il existe une logique fictionnelle à l'intérieur du roman. Il enseigne de la sorte que lorsque resurgit le même thème émaillé de menues variations, il convient d'examiner avec minutie ces variations afin de pouvoir rendre compte de l'altération dont été l'objet le thème. II prouve qu'au sein du roman seul importe l'écriture. Abdelkader Djemai fait appel à l'intelligence et la mémoire du lecteur car la lecture fait intervenir la mémoire visuelle du lecteur. Mais la mémoire intervient de bien d'autres façons dans le processus de la lecture. Elle est d'abord nécessaire à la compréhension du texte, qui fait intervenir le souvenir des pages précédentes, des chapitres précédents. Cette sorte de « déjà vu » lectural -à savoir le retour du même fragment -a été appelé la « mémoire infinie de la signifiance 18 ». Abdelkader Djemai demande à son lecteur d'avoir de la mémoire, dans la mesure où son écriture désorganise et bouleverse l'habituel fonctionnement mémoriel de la lecture d'une phrase, d'une séquence, d'un événement où « le sentiment du déjà lu se combine celui de l'autrement lu 19 La répétition à plusieurs implications dont la destruction de l'effet du réel, la compromission de la narration, l'intérêt démesuré accordé à l'anodin. Subversion de la motivation réaliste: « Le décentrement, qu'il soit d'ordre narratif ou sémantique, agit comme une traînée de poudre, gagne les autres pages, les autres textes et opère un démembrement et du langage et de la narration dans une épaisseur multidirectionnelle »affirme Ouhibi » 20 L'anti-conformisme de ce roman, constaté dans l'atomisation, la singularité des écritures, originalité que nous avons montré, en nous écartant de toute tentation aprioriste, idéologique ou autre, en gardant à . Le procédé du décentrement et de la dislocation du procès d'énonciation est inhérent à notre corpus d'étude. Ce qui retient désormais l'attention, ce n'est certes plus l'histoire, mais les mots pour le dire, "les àcôtés du récits", si bien que le texte narratif devient un texte poétique et substitue à l'intérêt romanesque, l'intérêt esthétique. l'esprit, la sauvegarde de la spécificité de ce texte littéraire. Ce romancier, tout en innovant et tout en refusant les sentiers battus, conserve à l'écriture son statut habituel, c'est-à-dire normatif et s'en prennent à l'organisation du récit. Abdelkader Djemai a la capacité d'ouvrir plusieurs pistes narratives et à les brouiller en laissant le lecteur choisir, comparer, et /ou désorienté. D'ailleurs Bruno Blanckeman souligne que les effets de déconstruction formelle et d'affranchissement narratologique, que multiplient les récits portés par une écriture à grande vitesse, à très forte rythmique, marquent une volonté similaire : fuir les états constitués, faire bouger les contours admis et les profils fixes, répercuter organiquement les mutations du contemporain, en élaborant ainsi un sens adapté. Cette déconstruction se manifeste par un éclatement des catégories du récit, une dispersion diégètique, une dissolution des référents stables. Bruno Blanckeman souligne aussi que « le récit réinstalle l'homme dans des histoires, en proposant des fictions renouvelées, ouvertes au désordre du réel, à la combinatoire des mots, à la structuration du sens. Points de société, parcelles d'humanité, options d'existence appellent sans discrimination, d'une oeuvre à l'autre, la forme littéraire appropriée fut-elle hybride 21 ». Le romancier retenu pour cette étude à savoir Abdelkader Djemaï a séduit, pour son professionnalisme du récit, sa technicité du roman, son expérimentation de l'écriture, son écriture a-canonique 22 . Pour Alain Robbe -Grillet: « Ce qui fait la force du romancier, c'est justement qu'il invente en toute liberté sans modèle. Le récit moderne a ceci de remarquable: il affirme de propos délibéré ce caractère, à tel point même que l'invention, l'imagination, deviennent à la limite le sujet du livre 23 1. DJEMAI, Abdelkader, Saison de Pierres, Entreprise nationale du livre, Alger, 1986. . » En effet, le roman d'Abdelkader Djemaï représente la subversion de la motivation réaliste, parce qu'il exhibe, en montrant sa tragédie, son désarroi, ses limites et sa vulnérabilité, le travail de l'écrivain: ce difficile travail du créateur. pas sans lien avec le premier sous chapitre car larelation est de nature lexicale : l'emploi du synonyme demot « équipée » est « voyage ».L'équipée mouvementée du grand père qu'onpeut lire à la fin du premier chapitre ressemble peut êtreau « voyage »et à l'aventure de l'écriture (de l'encre)dans le roman qu'on trouve au début du deuxième sousVolume XIX Issue VII Version I ( G ) Year 2019Un regard brisait l'équilibre. Grand-père n'est pas un homme à se laisser faire [?] » (Saison de pierres: 53) Abdelkader Djemaï s'ingénie à mettre en valeur les mots: « Un silence. Une attention. Une trace. Son journal intime, plutôt ses notes, ses parenthèses dans lesquelles il maudit, maudite Assia, s'épluche, se déshabille, se répand, se reprend, s'en prend au mensonge, à la gabegie par petites phrases sèches, amères, ironiques ? [?] » (Saison de pierres: 79).Par l'énumération de termes organisés de façon croissante « un silence », « une attention »et « une trace ». L'auteur crée une gradation dans le but de produire un effet de « zoom » car la gradation peut tendre à l'hyperbole. La synonymie « s'épluche » et « se déshabille » et la paronomase « se répand », « se reprend » et « s'en prend » ces ressemblances sémantiques et sonores permettent de rapprocher des sens pour renforcer des relations existantes ou pour créer une relation chapitre. De même, la réflexion sur l'écriture est interrompue par le resurgissement des souvenirs d'écoliers de Sandjas. La soudure cette fois -ci est de type lexical et thématique entre les deux fragments avec le mot « écrire »: «Rien ne s'est de biaiser avec les lignes inattendue. D'ailleurs, En effet, Saison de pierres ne respecte ni les contraintes chronologiques, ni les contingences événementielles, ni les lois psychologiques, procédant essentiellement au moyen d'opération qui assure la bifurcation du récit, des ruptures, des confusions volontaire dans la distribution des séquences narratives. transit d'une séquence à une autre? Parfois Abdelkader Djemaï enchaîne entre les chapitres en répétant le même mot, c'est-à -dire que le chapitre «x» contient un «vocable» qu'on retrouve forcement au début du nouveau chapitre, l'analyse du dernier paragraphe du chapitre 6:« Il me fallait tuer le sourcier 1 Le chapitre 5 évoque le départ de l'oncle à Oran pour prendre le bateau, son père [le grand père de Sandjas] est à sa recherche. Il finit par le ramener à la maison. Citons un extrait du premier sous chapitre de la page 41 à la page 43: « [...] Leur retour fut salué d'un immense repas, et dès la première nuit de cellule, ils scellèrent une paix enfin retrouvée dans l'adversité. Grand -père raconta son équipée mouvementée à qui ricanait aux voeux de l'iconoclaste, j'avais soif de son sang. » (Saison de pierres: 60). Et la comparaison avec les premières lignes du chapitre 7: «Sandjas dédaignait le pouvoir du sourcier-sorcier qui avançait, le regard disperse, les pieds tâtonnant sur la rocaille» (Saison de pierres: 61). Nous permet de dire que le personnage le sourcier est le lien entre les deux chapitres. De la même manière s'enchaînent les différentes séquences à l'intérieur du même chapitre. L'utilisation du même champ lexical « feu »et « brûlante » permet aussi aux deux derniers sous chapitre de créer un moyen d'articulation. Reportons les dernières lignes du deuxième sous chapitre: « [?] Elle buvait sa joie, un baiser de menthe brûlante sur les lèvres le mien que j'imagine». (Saison de pierres: 65).Ainsi que le début du troisième sous chapitre: «La part du feu, du hasard, Sandjas, caillou, le plâtre des ruches mortuaires. [?]» (Saison de pierres: 65). Le roman se caractérise par la succession et l'entrecroisement de séquences apparemment sans lien entre elles mais en réalité solidement articulées. Comment Abdelkader Djemaï favorise-t-il le sinueuses occupées à décrire le voyage de l'encre, le Klame, laMadame Tortoza et au Défroqué [...]» (Saison depierres: 43). Le deuxième sous chapitre débute à la finde la page 43, il expose une réflexion sur l'écriture. Lethème est donc différent de celui de l'escapade del'oncle (cf le premier sous chapitre) néanmoins, il n'est ?] » (Saison de pierres: 69) Le lecteur est dérouté, il ne comprend pas: s'agit-il d'une photo ou d'un évènement car la photo bouge! Ou bien la photo rappelle à Sandjas un souvenir, provoque une réminiscence: « Sandjas voit imperceptible bouger le genou de la cicatrice, le premier pas naître lentement, un ralenti qui conduit peu à peu la fillette au bord de la première case [?]. Elle y revient réintègre la photo, contourne le jet d'eau et court, le bras hurle vers elle. Sandjas hurle alors dans la lumière crue qui scie sa mémoire [?] » (Saison de pierres: 69-70-71). On trouve un autre fragment un peu plus loin: « Ici, ne pas négliger place, que la photo élastique qui cogne la rétine de Sandjas? [?] » (Saison de pierres: 87). Le fragment est interrompu par un autre récit. Il réapparaît en suite à une trentaine de lignes après: « [?] La fillette sur la photo, la benjamine au regard clair, la tante de huit ans, l'attachait au tronc pour aller jouer à la marelle [?] (Saison de pierres: 88). La fillette en jouant est écrasée par des roues de voitures: «[?] dans le crissement des pneus, des roues qui écrasèrent la Year 2019 Volume XIX Issue VII Version I ( G )chevaux C'est nous qui soulignons.© 2019 Global Journals Repetition: A Process of Destroying the Narrative Unity in Abdelkader Djemai's Saison De Pierres © 2019 Global JournalsRepetition: A Process of Destroying the Narrative Unity in Abdelkader Djemai's Saison De Pierres OUHIBI GHASSOUL, Bahia, Perspectives critiques : le roman algérien de langue française dans la décennie 1985-1995. Thèse de doctorat d'état 2003-2004, Oran, p. 278.279. 3 OUHIBI GHASSOUL, Bahia, Perspectives critiques : le roman algérien de langue française dans la décennie 1985-1995. Thèse de doctorat d'état 2003-2004., Oran. p. 278.279. BARDECHE, Marie -Laure, Le principe de répétition : Littérature et modernité, L'Harmattan, 1999, P.223. © 2019 Global Journals BARDECHE, Marie -Laure, Le principe de répétition : Littérature et modernité .L'Harmattan , 1999,P.222. OUHIBI GHASSOUL, Bahia, Perspectives critiques : le roman algérien de langue française dans la décennie 1985-1995. Thèse de doctorat d'état 2003-2004. Oran. P. 237-238-258-259. 7 DELEUZE, Gilles, Différence et répétition, Paris : Presses universitaires de France, 1968. 8 DIAS, Dominique, Les figures de répétition : une rhétorique à l'oeuvre dans Atemsschaukel de Herta Muller. ATER-Université de Nice -Sophia-Antipolis. Publié par Marie Laure Durand le 4/11/2012. 9 PRAK-DERRINGTON, Emmanuelle, Récit, répétition, variation. 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